La Cour de cassation vient de rendre un nouvel arrêt sur les effets d’une clause relative à la liberté d’expression insérée dans un protocole transactionnel.
Cette affaire met en cause l’illustre et ancien présentateur d’un journal télévisé, en la personne de Patrick Poivre d’Arvor. Ce dernier avait conclu avec la chaine TF1, le 17 septembre 2008, une transaction suite au prononcé de son licenciement.
Le protocole d’accord transactionnel prévoyait que les parties s’interdisaient de se critiquer et de se dénigrer. Or, en octobre 2008, Patrick Poivre d’Arvor a fait paraître un ouvrage intitulé « A demain ! En chemin vers ma liberté ». La chaine a alors considéré que Patrick Poivre d’Arvor avait manqué à son engagement et a saisi le juge prud’homal d’une demande de dommages-intérêts.
Confirmant le jugement de première instance, la Cour d’appel a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’annuler la clause mentionnée à l’article 4 de la transaction et a condamné PPDA à payer à TF1 des dommages-intérêts.
C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a été saisie pour se prononcer sur la licéité de la clause litigieuse.
Cette clause était rédigée comme suit : « Patrick Poivre d’Arvor s’interdit toute publication verbale ou écrite se rapportant à sa collaboration avec TF1, pendant les années 1987 à 2008, qui aurait pour objet ou pour effet de critiquer ou de dénigrer la société TF1, les sociétés du groupe, les programmes diffusés par lesdites sociétés, cette interdiction étant étendue quant à leur objet, aux dirigeants et collaborateurs de TF1 et des sociétés du groupe, et ce, pendant un délai de dix-huit mois, à compter de la signature des présentes.
La société TF1, qui se porte fort des sociétés du groupe, ainsi que de ses/leurs dirigeants et collaborateurs, s’interdit toute publication verbale ou écrite se rapportant à sa collaboration avec Patrick Poivre d’Arvor pendant les années 1987 à 2008, qui aurait pour objet ou pour effet de critiquer ou de dénigrer Patrick Poivre d’Arvor, avec cette précision que cette interdiction aura effet pendant un délai de dix-huit mois à compter de la signature des présentes ».
Si, aux termes de l’article L.1121-1 du Code du travail, la liberté d’expression peut faire l’objet de restrictions, la Cour de cassation a pu préciser dans son arrêt que : « des restrictions peuvent être apportées à la liberté d’expression pour assurer la protection de la réputation et des droits d’autrui dès lors que ces restrictions sont proportionnées au but recherché ».
La Cour a alors considéré que « après avoir retenu que, par la transaction conclue le 17 septembre 2008, les parties avaient entendu mettre fin à une intense polémique médiatique entretenue par le salarié après son licenciement, de nature à nuire à la réputation de son employeur, que cette transaction comportait l’engagement réciproque de cesser tout propos critique et dénigrant, qu’elle était précise dans son objet et quant aux personnes physiques et morales ainsi qu’aux programmes que le salarié s’engageait à ne pas critiquer ni dénigrer, qu’elle était limitée à dix-huit mois, la cour d’appel a pu en déduire qu’elle était justifiée et proportionnée au but recherché ».
Ce faisant, la Cour de cassation livre avec clarté les critères d’une clause de non-dénigrement valide, c’est-à-dire justifiée et proportionnée au but recherché :
• la réciprocité de la négociation, ce qui a pour effet d’équilibrer la clause,
• la précision de la clause dans son objet et quant aux personnes physiques et morales ainsi qu’aux programmes que le salarié s’engageait à ne pas critiquer ni dénigrer,
• la limitation de la clause dans sa durée, en l’occurrence à dix-huit mois.
Ce dernier critère est sans doute le plus remarquable. Conforme à la prohibition des engagements perpétuels, cette précision n’en est pas moins novatrice et devrait vraisemblablement amener les avocats à modifier leur pratique.
Les nouvelles clauses de non-dénigrement pourraient par exemple être rédigées comme suit : « Monsieur X [nom du salarié] s’oblige de manière générale à ne rien faire qui puisse nuire à la société Y [désignation de la société], à ses membres et représentants actuels et futurs. Cet engagement implique en particulier de ne pas porter atteinte à l’image ou la crédibilité de la société et de leurs représentants au travers d’un témoignage ou d’une attestation, et pendant une période de X années ».
Afin que la clause reste proportionnée, la durée de l’interdiction devra sans doute être ajustée en considération de la nature des fonctions exercées par le salarié.
MARILYN MAUDET-BENDAHAN. AVOCATE AU BARREAU DE NANTES.