L’identification d’un co-employeur au sein d’un groupe de sociétés a pour effet premier de donner aux salariés un autre débiteur d’obligations que la personne morale partie aux contrats de travail.
Elle fait peser sur le co-employeur l’obligation de reclassement et la garantie des condamnations prononcées pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La mise à jour de cette nouvelle notion par les juges entraine donc des conséquences particulièrement sévères pour celui qui sera reconnu co-employeur.
Pour caractériser le co-emploi, la Cour de cassation a progressivement caractérisé le critère de la triple confusion « d’intérêts, d’activité et de direction » entre la société co-employeur et la société ayant conclu le contrat de travail (Cass. soc. 28 septembre 2011, n° 10-12278 ; Cass. soc. 3 mai 2012, n° 10-27461).
Le co-emploi suppose donc une situation jugée anormale caractérisée par la confusion des intérêts, des activités et de la direction, faisant disparaître l’autonomie de l’employeur soumis à l’ingérence d’un tiers au contrat de travail s’immisçant dans la gestion économique et sociale de l’entreprise.
Les conséquences sont alors redoutables :
- Lorsque la situation de co-emploi est caractérisée, l’interruption de l’activité de l’employeur d’origine ne suffit plus à justifier la rupture des contrats de travail du personnel (Cass. soc. 15 février 2012, n° 10-13897).
- De même, l’obligation de reclassement incombe alors à chacun des co-employeurs (Cass. soc. 12 septembre 2012, n° 11-12343 ; Cass. soc.28 septembre 2011, n° 10-12278).
D’une façon plus générale, un arrêt du 28 juin 2011 a énoncé que le licenciement notifié par un seul des co-employeurs est opposable à l’autre, qui doit supporter les conséquences et les responsabilités qu’entraîne cette décision (Cass. soc. 28 juin 2011, n° 10-12278).
Dans la même logique, un arrêt de la Cour d’appel Nîmes, avait confirmé sans ambages cette approche, en considérant qu’il y avait lieu de condamner la société d’un groupe à rembourser au liquidateur l’ensemble des créances de rupture versées à chacun des salariés dans le cadre de la liquidation judiciaire prononcée, après avoir constaté l’existence d’une situation de co-employeurs au sein d’un groupe de société (CA Nîmes, 15 avril 2014, n°12/04548).
Depuis lors et en particulier depuis un arrêt de 2014 (Cass. Soc., 2 juillet 2014, n°13-15208), nous assistons cependant à un resserrement de la notion de co-emploi.
Il est ainsi régulièrement rappelé que le co-emploi suppose la caractérisation d’une ingérence, dans le domaine social et économique, dépassant les rapports de domination économique et la politique commune inhérente au fonctionnement d’un groupe.
Sur la base de cette approche qui se veut restrictive, plusieurs arrêts notables ont dénié la qualité de co-emploi invoquée par des salariés (V. par exemple en ce sens : Cass. Soc., 15 septembre 2015, n°14-10060 ; Cass. Soc., 4 mars 2015, n°13-28141 ; Cass. Soc., 18 février 2015, n°13-22595).
Dans la même veine, en 2015, la Cour de cassation avait rejeté dans les termes suivants la qualification de co-emploi : « Attendu cependant que, hors état de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que le fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et soient en étroite collaboration avec la société mère, et que celle-ci ait pris durant les quelques mois suivant la prise de contrôle de la filiale des décisions visant à sa réorganisation dans le cadre de la politique du groupe, puis ait renoncé à son concours financier destiné à éviter une liquidation judiciaire de la filiale, tout en s’impliquant dans les recherches de reclassement des salariés au sein du groupe, ne pouvait suffire à caractériser une situation de coemploi, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. Soc., 10 décembre 2015, n°14-19316).
L’arrêt en présence du 7 mars 2017 s’inscrit rigoureusement dans cette logique restrictive, en ces termes : « Attendu cependant que, hors état de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur, à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que le fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et soient en étroite collaboration avec la société dominante, que celle-ci ait apporté à sa filiale un important soutien financier et que pour le fonctionnement de la filiale aient été signées avec la société dominante une convention de trésorerie ainsi qu’une convention générale d’assistance moyennant rémunération, ne pouvaient suffire à caractériser une situation de coemploi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Par cette solution, la Cour de cassation vient signifier que les rapports décrits entre les différentes sociétés du groupe correspondent aux rapports normaux qu’entretiennent une société mère et sa filiale.
L’immixtion dans la gestion économique et sociale de la filiale constitue donc bien une affaire de degré – évaluée sur la base d’un faisceau d’indices – et en l’espèce la ligne n’a pas été franchie.
Marilyn MAUDET-BENDAHAN. Avocate au Barreau de NANTES.