Le salarié, victime à la fois d’une discrimination et d’un harcèlement, peut désormais prétendre à une double indemnisation…pour peu qu’il puisse justifier de l’existence de préjudices distincts.
En l’espèce, une salariée avait été embauchée en qualité de Rédactrice stagiaire par une société d’édition. Par la suite, cette salariée est déclarée inapte à tout poste dans l’entreprise puis licenciée pour avoir refusé les offres de reclassement proposées par son employeur.
La salariée invoquait une discrimination en raison de son état de grossesse, caractérisée par la privation de l’exercice des fonctions antérieures. Il s’agissait en l’occurrence de fonctions rédactionnelles dont la diminution avait pu être observée à chaque retour de congés maternité. En parallèle, la salariée invoquait l’existence d’un harcèlement moral.
Pour mémoire, s’agissant de la notion de harcèlement moral, l’article 1152 du Code du travail précise que : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
La notion de discrimination s’entend classiquement quant à elle par le fait de traiter différemment deux situations identiques et inversement.
Plus précisément, l’article L 1132-1 du Code du travail énonce que : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de conduit à un état d’inaptitude médicalement constaté, résultant du harcèlement moral dont elle a fait l’objet, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
La question du cumul de ces deux types de manquements – le harcèlement et discrimination – s’est posée devant la Cour de cassation.
Dans son attendu de principe, la Cour de cassation a énoncé : « Attendu que les obligations résultant des articles L. 1132-1 et L. 1152-1 du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents, ouvre droit à des réparations spécifiques ».
Concrètement, la Cour de cassation a estimé qu’en l’espèce, l’existence de préjudices distincts était avérée, en ces termes : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de ces énonciations que les dommages-intérêts alloués au titre de la discrimination réparent les préjudices matériels et moraux résultant de la privation d’une partie des fonctions de l’intéressée après retour de ses congés maternité et non l’atteinte à la dignité et à la santé de la salariée, ayant conduit à un état d’inaptitude médicalement constaté, résultant du harcèlement moral dont elle a fait l’objet, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Ainsi, la Cour de cassation fait rigoureusement la part entre :
- le comportement de l’employeur (ou d’un de ses salariés) consistant à priver la salariée d’une partie de ses fonctions après son retour de congés maternité et,
- le comportement de l’employeur (ou d’un de ses salariés) qui a eu raison de la santé et de la dignité de la salariée. Un tel comportement ayant alors eu pour effet de conduire au constat de l’inaptitude de la salariée.
Ainsi, un même comportement peut générer deux types de préjudice.
Il est à noter que la solution s’inscrit en cohérence avec la jurisprudence récente et devenue constante qui reconnait l’existence d’une indemnisation spécifique relative au manquement de l’employeur à son obligation de prévention en matière de harcèlement moral. Cette indemnisation spécifique vient alors s’ajouter à la plus classique indemnisation au titre du harcèlement moral éventuellement subi (Cass. Soc., 6 juin 2012, n°10-27.694).
Il revient donc au conseil du salarié, à l’instar de l’avocat en matière de réparation du préjudice corporel, de décortiquer le préjudice subi afin d’obtenir la pleine et entière indemnisation du préjudice subi, conformément au principe français de réparation intégrale.
Pour ce faire, il pourra se poser deux questions : d’abord, pourquoi – ce qui revient à s’interroger sur le motif de la discrimination -, puis comment – ce qui revient à s’interroger sur la traduction concrète du harcèlement moral et en particulier sur son caractère répété.