La loi de sécurisation de l’emploi a introduit dans l’article L. 1235-1 al. 4 du Code du travail une obligation de justification du préjudice à la charge du juge.
Cet article énonce ainsi que le juge « justifie dans le jugement qu’il prononce le montant des indemnités qu’il octroie ».
En l’espèce, un employeur a licencié pour faute grave son salarié en raison d’un certain nombre de manquements (oublis de levure, chambre non mise en route).
La Cour d’appel relève des irrégularités dans la mise en œuvre de la procédure et considère que l’employeur n’apporte pas la preuve du bien-fondé du licenciement, qui est ainsi dépourvu de cause réelle et sérieuse.
L’apport essentiel de l’arrêt est ailleurs.
La Cour d’appel utilise l’article L. 1235-1 al. 4 du Code du travail et en déduit que : « Monsieur M. ne justifie pas d’un préjudice particulier au-delà des conséquences brutales et quotidienne d’un licenciement étant observé qu’il n’a perçu des indemnités de chômage que pour une durée de 50 jours qu’également de l’attestation précitée il résulte que Monsieur M. aurait trouvé un autre emploi par l’intermédiaire de ses cousins ; que, dans ces conditions, il convient d’allouer la somme de 5.000 euros qui correspond à la réalité et l’étendue du préjudice causé par cette brusque rupture ».
Ce faisant, la Cour d’appel réduit de moitié le montant des indemnités accordé en première instance au salarié !
On peut certainement se réjouir d’une telle solution qui incite les conseillers à la plus grande rigueur et à une certaine transparence dans la rédaction de l’exposé des motifs.
Une partie de la doctrine souligne ainsi la traduction d’une « nouvelle discipline judiciaire », tout en faisant observer qu’il s’agit en réalité d’une transposition logique au Code du travail de l’article 455 du Code de procédure civile (MARTINON A., Sur l’obligation de justification du préjudice, Les Cahiers sociaux, n°264, juin 2014, p. 359).
Par ailleurs, l’arrêt est intéressant en ce qu’il précise que le salarié doit justifier d’un « préjudice particulier», à l’exclusion des conséquences intrinsèques à tout licenciement, qualifiées par les juges du fond de « conséquences brutales et quotidiennes d’un licenciement».
Au nombre des critères permettant de caractériser ce « préjudice particulier », les juges retiennent sans surprise la durée d’indemnisation par Pôle emploi et le fait que le salarié ait ou non retrouvé un emploi.
La doctrine rappelle que d’autres critères demeurent de précieux indicateurs : « nature et gravité de la faute […], capacité et difficulté [du salarié] à retrouver un nouvel emploi (en raison notamment de son âge), ancienneté du salarié, situation de famille de ce dernier… » (MARTINON A., Sur l’obligation de justification du préjudice, Les Cahiers sociaux, n°264, juin 2014, p. 359).
A cela pourrait être ajouté, pourquoi pas : la mobilité potentielle du salarié, le taux de chômage dans son secteur d’activité, son état de santé depuis le licenciement, etc.
On sent très vite qu’en poussant la logique jusqu’au bout, ce sont également de nouvelles armes qui pourraient être exploitées par des avocats de salariés.
Par ailleurs, si cette jurisprudence devait faire des émules, il n’y aurait rien d’étonnant à observer en audience une curiosité grandissante de la part de certains conseillers prud’homaux, dans le but de pouvoir motiver au plus juste leur jugement.
L’intérêt de cette jurisprudence, pour les avocats des employeurs, réside sans doute dans la possibilité de voir des jugements réformés par les Cours d’appel, chaque fois que les conseillers auront manqué à leur obligation de justification.
MARILYN MAUDET-BENDAHAN. AVOCATE AU BARREAU DE NANTES.